Brol #30 – by heart
Publié le 29 mars 2018
Parfois la vie est tellement douce, les choses se font signe, les gens se rejoignent, les éléments concordent et les évènements se succèdent, en rythme, ordonnés. Les nuits sont faites de velours, les journées de lumière. Et les jours coulent, heureux.
Allez, on s’y croirait presque, avec en toile de fond un écrin de verdure où paissent tranquillement quelques licornes. Avouons que cette petite vision idyllique est peu réaliste. C’est souvent un peu plus chaotique, désordonné, douloureux. Il y a des arythmies, des traits mal dessinés, des gouttes de confusion, ça déborde, des instants de doute, des rendez-vous manqués, des cicatrices qui barrent nos routes, des pertes, des deuils, des tristesses, du verre fragile explosé dans sa caisse en carton, du mal recousu, du chiffonné.
La vie, quoi. Un sacré bordel en somme.
(Et c’est complètement normal que ce soit parfois difficile. J’ai lu d’ailleurs cet article sur la « tyrannie de la commodité » récemment, qui développe entre autres l’idée selon laquelle être au monde, bin oui, c’est pas toujours facile. La plupart du temps on n’a pas le choix, on doit faire face à des situations imposées, toujours injustes, souvent compliquées. Il faut alors les accepter, les comprendre, les surmonter, les défier, lutter, et tout cela est difficile. Mais nous aide à devenir ce que nous sommes. La difficulté comme caractéristique constitutive de l’expérience humaine ne doit pas être effacée, oubliée, au contraire.)
Bref, ça c’était une parenthèse, je voulais pas parler de ça à la base (mais vous pouvez quand même lire l’article parce qu’il est intéressant quand même!).
Tout ça pour dire, oui, la vie est difficile, les gens meurent, l’absurdité, les immenses questions qui prennent toute la place. Je voulais parler de ça parce que hier, je suis allée voir un spectacle, très beau. Ca s’appelle « By Heart », c’est écrit et joué par Tiago Rodrigues, et ça joue au Théâtre Les Tanneurs, encore ce soir et demain. J’avais écrit le texte de présentation du spectacle pour les supports de communication du théâtre, j’en avais vu des extraits vidéo, mais je n’avais pas saisi, avant de le voir « en vrai », toute sa charge. (D’où l’importance du théâtre – mais c’est un autre sujet).
« By heart » n’est pas un spectacle sur la mémoire et la charge de résistance contenue dans le fait d’apprendre par coeur de la littérature, pas seulement. C’est un spectacle sur une grand-mère qui vieillit. C’est un spectacle sur son petit fils. C’est un spectacle sur la vie. C’est un spectacle sur ce qu’on perd, et sur ce qui demeure. C’est un spectacle sur la transmission et sur la résistance. C’est un spectacle sur la force de la littérature et celle de la douceur de l’ami(e), de l’amour, du petit-fils, de la grand-mère. C’est un spectacle sur la puissance du collectif et l’importance des liens, des autres. En fait, c’est un spectacle sur tout ce qui importe pour moi. C’est aussi un spectacle gonflé d’humour, de joie et de sagesse, sans jamais déborder, d’une justesse absolue. C’est un spectacle à la fois joyeux et émouvant, à la fois léger et poignant. C’est un spectacle qui dit, comme le Sonnet 30 de Shakespeare, que oui, c’est difficile, mais qu’on est ensemble, alors en fait ça va.
Bref, j’ai bien aimé, quoi !
Mais alors si mon âme, Ami, vers toi se lève
Tout mon or se retrouve et tout mon deuil s’achève
Et, dans la nuit de ce spectacle, il y a aussi la caresse de la peau nue et douce du garçon que j’aime sous mes paumes émerveillées.