Brol #28 – woman’s world
Publié le 8 mars 2018
J’ai regardé dernièrement avec effroi un reportage intitulé « Avortement, les croisés contre-attaquent ». Une « croisade » un peu galvaudée, qui dépasse ici la question religieuse. On sait évidemment (et on le voit dans le reportage) que l’Eglise catholique et ses fidèles jouent un rôle bien malsain dans tout ça (notamment en Italie, où les objecteurs de conscience parviennent à rendre l’accès à l’avortement pratiquement impossible pour les femmes qui souhaitent y recourir alors que c’est normalement un droit légal de ce pays mais aussi aux USA ou en Pologne, comme vous l’apprendrez si vous regardez le reportage), mais on se rend compte aussi que ça dépasse la religion.
Selon les pays, les anti-avortements adaptent leur tactique : actions directes ou clandestines, utilisation des moyens marketings, techniques d’influence, activisme en ligne, etc. Mais au final tout ça participe bien d’une même dynamique liberticide : ôter aux femmes le droit à disposer de leur corps comme elles l’entendent, et ainsi donner moins de pouvoir aux femmes (et aux hommes aussi, indirectement) concernant ce qui les concerne le plus directement : elles-mêmes, leur corps, leur vie. Restreindre leurs possibilités, faire leurs choix de vie à leur place, les fragiliser, les maintenir dans la peur, dans une forme de dépendance. Exactement tout le contraire de ce dont nous avons besoin.
M’intéresse aussi l’analyse sémantique des discours anti-IVG. Ils choisissent d’utiliser des termes positifs : pro-vie, liberté, paix, amour, dignité, humanité, etc. On se croirait dans un monde peuplé de licornes qui chient des papillons à la violette en sautant sur des nuages roses, laissant des trainées de paillettes derrière elles. Sauf que derrière le masque, ça pue la merde, en fait. Ils sont nuisibles, anti-démocratiques, et le terme « anti-choix » leur convient bien mieux que celui de « pro-vie ».
Ce qui me marque par ailleurs, c’est que d’une part il y a ceux qui modifient les chiffres, brouillent les faits, développent des contre-vérités à dessein, imaginent des stratégies, instrumentalisent le féminisme ou l’écologie (!!!), mais à côté de ça beaucoup de ces gens (et notamment les jeunes !) qui luttent contre la possibilité de l’avortement semblent de bonne foi, persuadés qu’ils défendent une juste cause, armés de bons sentiments et forts de leurs arguments, comme s’ils n’avaient juste aucune conscience de ce qui se jouait là.
Ca m’attriste évidemment de constater qu’ils « crient leur amour de la vie » (selon le terme utilisé par des manifestants anti-IVG à Paris) de cette manière, et que cette stratégie de « positivation de la restriction » fonctionne, puisqu’on observe un recul réel de l’accès à l’avortement en Europe. (J’en avais déjà parlé ici en 2015).
Pour moi, crier notre amour de la vie, c’est crier notre amour et notre respect pour nous-même, pour nos envies, nos libertés fragiles, nos hommes, nos femmes, nos corps, nos amours, nos choix, nos enfants quand ils sont désirés.
Ca renvoie évidemment à la question de la visibilité, du temps de parole, de l’écoute des principales concernées, dont la parole est oubliée, niée, dans ce flux d’informations tronquées et de prises de positions oppressives.
Il y a clairement une défaillance dans le dialogue, dans la possibilité donnée à chacun et surtout chacune de s’exprimer. J’ai le sentiment qu’il est plus facile de prendre publiquement des positions anti-avortement que de parler de son avortement, comment, pourquoi, des raisons pour lesquelles on en a eu besoin, de la chance qu’ont aujourd’hui celles qui peuvent faire ce choix légalement, de l’horreur que c’était et que c’est encore de devoir y recourir clandestinement, des risques qui y sont liés. Il faut lire Annie Ernaux, Colombe Schneck, Xavière Gauthier.
Par ailleurs, les combats sont nombreux et intersectionnels, « occidentaux » et plus larges, et on ne sait pas toujours par où commencer, sur quel bout de la pelote tirer en premier : les mutilations génitales, les violences domestiques, les petites et grandes agressions, pour un accès égalitaire à l’espace public, pour pouvoir s’habiller comme on en a envie (valable pour le port du voile), pour l’égalité salariale, l’égalité d’accès à l’éducation, la question du consentement, la représentativité, etc. D’autant qu’il ne s’agit ici d’une liste non-exhaustive de combats concernant des questions féministes, alors qu’il y a tant d’autres problématiques. Mais finalement, les combats se croisent et se recoupent, et tant de choses sont liées.
J’ai lu dans La Libre ce matin une carte blanche intéressante de Magdalena Sepulveda, qui questionne et pointe les liens entre les abus fiscaux des multinationales et les inégalités hommes / femmes. Elle réaffirme la nécessité de politiques fiscales progressistes et plus justes qui pourront permettre de réduire ces inégalités et de garantir les droits des femmes.
« Lorsque les multinationales ne paient pas leurs impôts, cela signifie que les Etats disposent de moins de ressources pour investir dans les services publics tels que l’éducation, la santé, les soins aux enfants, l’accès à des systèmes judiciaires efficaces, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Cette dynamique exacerbe l’inégalité entre les sexes, car les femme sont surreprésentées parmi les pauvres et parmi les emplois précaires ou mal rémunérés.»
Je crois qu’il faut tirer de tous les côtés de la pelote, selon ce qui nous intéresse et nous indigne, ne pas lâcher, et rester ensemble mais aussi à l’écoute des autres façons de voir. Essayer de comprendre d’où surgissent les oppressions, restrictions et fragilisations pour mieux les détricoter ensemble, avec patience et ténacité. Simone de Beauvoir nous conseillait de rester vigilantes, je crois qu’elle a plus que jamais raison.
Les filles, prenez soin de vous, écoutez-vous, vous-mêmes et entre vous. Les mecs, prenez aussi soin des filles, écoutez-les. Les filles, prenez aussi soin des mecs, expliquez-leur.
Nous menons encore et toujours les mêmes batailles, elles ne sont jamais gagnées une fois pour toutes, mais en luttant ensemble, en communauté, nous apprenons à entrevoir de nouvelles possibilités qui autrement n’auraient jamais été visibles à nos yeux. En même temps, nous étendons et élargissons notre conception de la liberté.
Angela Davis
—
This is a woman’s world.
This is my world.
This is a woman’s world
For this man’s girl.
There ain’t a woman in this world,
Not a woman or a little girl,
That can’t deliver love
In a man’s world.
I’ve born and I’ve bread.
I’ve cleaned and I’ve fed.
And for my healing wits
I’ve been called a witch.
I’ve crackled in the fire
And been called a liar.
I’ve died so many times
I’m only just coming to life