Brol #2 – L’indien
Publié le 15 septembre 2017
Pour commencer les gars, vous n’imaginez même pas à quel point ça m’a super super super super super fait plaisir tous vos commentaires enthousiastes, vos petits mots encourageants et votre bienveillance à l’annonce du lancement de ce ptit brol !
Vraiment, j’me lançais un peu en mode petit orteil dans l’eau glacée mais là ça m’a boostée x1000 ! Je me mouille quand même encore la nuque histoire d’éviter l’hydrocution (quelle prudence disdonc) puis franchement je plonge en un coup à l’aise ! (A poil TMTC!) Ahah ! Non mais sérieusement, vraiment merci pour cette dose de love, ça fait vraiment du bien.
Ensuite pour le brol #2, j’avoue que je l’avais un peu préparé à l’avance celui-là, enfin je savais déjà que j’allais en parler un jour ou l’aut’! C’est même parce que j’avais envie de partager cet extrait de texte sur Facebook que je me suis dit « Tu vas pas encore partager un truc sur ton mur, les gens vont être saoulés (et Jules et Sarah vont encore te traiter de saltimbanque) », et alors j’ai réfléchi à une autre manière de partager mes brols et alors j’ai donné naissance à cette petite brocante !
Donc voilà je laisse la parole à un grand sage :
Nous savons encore ne pas prendre plus que nous n’avons besoin et restituer autant que nous pouvons. Nous savons que nous sommes éphémères, alors que la terre, elle, est là pour longtemps. Que nous ne sommes pas ici pour suffisamment longtemps pour penser en termes de propriété. Que nous ne pouvons pas la posséder parce que les générations à venir vont l’utiliser.
De plus en plus d’entre nous commencent à comprendre que nous n’avons pas perdu notre terre. On a voulu nous faire croire que nous l’avions perdue, mais elle est toujours là, elle n’est pas partie. Nous voyons d’autres l’utiliser de force, la maltraiter, nous empêcher d’y accéder, mais ils ne pourront pas la détruire. Ce serait impensable : la terre est une entité de vie, elle ne permettrait pas que cela se produise. La terre peut se protéger en faisant disparaître ou apparaître un continent. La terre n’a rien à faire du temps humain, elle a tout le temps pour elle. Dans mille ans, l’eau empoisonnée sera redevenue propre, l’air asphyxié de nouveau limpide…
Il n’y a que l’homme blanc, dans son délire de grandeur, pour penser qu’il peut détruire la terre. Mais tout ce qu’il est capable de faire c’est de détruire sa capacité à vivre sur la terre. Et que la civilisation industrielle puisse se détruire, cela ne me dérange pas. Ce qui me dérange, c’est d’être encerclé par elle et que dans son processus d’autodestruction elle puisse me détruire moi aussi. Mais même si la catastrophe devait arriver, il y aurait encore des tribus qui ne sont pas touchées par la civilisation et qui continueraient leur chemin.
Aujourd’hui, l’Amérique est devenue folle et sa force est d’entraîner les gens dans sa folie en les persuadant que c’est la réalité. Quand je regarde ce qu’il se passe, je ne puis que constater que les gens ont vraiment perdu la tête. Bush envahit le Moyen-Orient et 80% des gens sont d’accord, sans rien comprendre à ce qu’il se passe. Bush envahit le Panama et 80% des gens le soutiennent. Reagan envahit la Grenade et 80% des gens sont avec lui.
Je n’ai pas eu beaucoup de relations avec les drogués, mais quand je pense à leur manière de fonctionner, à la façon dont ils sont accrochés à l’aiguille de la seringue, je me dis que c’est très semblable à la façon dont chaque citoyen de ce pays est accro au matérialisme. Le processus est le même, seule la drogue diffère. Ils vous mentent et ils se mentent à eux-mêmes pour obtenir des « fix ». Chacun est prêt à tout accepter pour avoir sa dose, en se moquant du fait que son voisin l’ait ou non obtenue.
John Trudell,
L’Autre journal – novembre 1990
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J’ai acheté il y a peu l’anthologie de l’Autre Journal, célèbre mensuel (ou hebdomadaire, selon les époques) créé par Michel Butel et édité entre 1984 et 1992. C’est un peu l’ancêtre du XXI, mais en plus poétique, laissant vraiment la page à des voix singulières. Un journal initialement sans journalistes, construit par des philosophes, des écrivains, des poètes, des artistes. Ci-dessus, un extrait d’une rencontre avec John Trudell, dont les propos ont été recueillis en 1990 par Solveig Anspach et Antoine Dulaure.
John Trudell a vécu mille vies, c’est peut-être une des raisons pour lesquelles il m’intéresse autant. Amérindien, d’origine Sioux-Santee, il est né en 1946 et a grandi dans une réserve du Dakota. A l’époque où il luttait pour les droits des amérindiens, en 1979, sa femme et ses trois enfants sont morts brûlés dans un incendie criminel, très certainement commandité par les services secrets américains. Après quelques années d’errance, il décida de répondre au mal par l’écriture et la musique et devint écrivain, poète, chanteur (si vous voulez l’écouter) et même acteur (notamment le premier rôle dans Coeur de Tonnerre, de John Frante). Je trouve sa parole remplie d’intelligence et de sagesse, à la fois politique et intime, chargée sans doute de tous ses fantômes, de son appartenance également, bien qu’elle dépasse complètement l’endroit d’où elle commence, sautant au-dessus des frontières temporelles et géographiques.
J’aime que son discours sur la terre démarre d’un point de vue « territorial » et viscéral – il y a cette blessure de la terre de ses ancêtres qui leur a été confisquée, sur laquelle ils ont perdu leurs droits, dont ils ont perdu l’essence et tout ce que ça implique en termes d’identité – pour s’étendre à une pensée globale, terrestre au sens planétaire. Pas besoin de faire un commentaire de l’extrait ci-dessus, écrit il y a 27 ans mais brûlant d’actualité, pour comprendre l’analogie entre ce qui se passe aujourd’hui à l’échelle planétaire et ce qui a eu lieu sur leurs terres du continent Américain (et tant d’autres). Ce qu’il dit du matérialisme et des drogués, pareil : c’est chacun s’malette, chacun sa couque, d’abord son petit confort personnel. Et puis, éventuellement, ensuite, on fait ce qu’on peut pour les autres et ça nous donne un peu bonne conscience pour nous endormir le soir bien au chaud. Moi la première, évidemment. C’est tellement lucide, et tellement triste. (Bon promis des fois les brols seront un peu plus joyeux – Et un peu plus courts ahah)
Ce qui est bizarre aussi c’est que quand j’ai vu sa photo, j’étais sûre de l’avoir déjà vu quelque part, mais où ? Ca j’en sais rien du tout. John Trudell est mort d’un cancer il y a deux ans. C’est con, j’aurais bien été le voir en concert.