Brol #18 – me too

Publié le 17 octobre 2017

Ah bah oui, me too, bien sûr.

Ca englobe quoi, exactement ? Juste les vraiment tarés ? Ou aussi les « simples » gros porcs ? On prend aussi les « juste » lourds ou bien ils ont pas droit à leur moment de gloire ? On va rechercher tous ceux qui nous ont un jour manqué de respect ou seulement les cas les plus impressionnants ?

Le premier c’était sans doute ce type à la gare de Péruwelz quand on avait séché les cours une fois avec ma copine Hélène alors qu’on n’avait pas d’âge. Le type avait commencé à se branler, juste devant nous, adossé à une poubelle, alors qu’on était assises sur un banc juste en face. J’avais jamais vu de bite en érection avant ça. Miam, fraîcheur, belle image bien gravée. Je me souviendrai toujours de la pâleur d’Hélène, des mots qui manquent, de l’incompréhension, de notre choc, de la sidération, puis qu’on s’est enfuies à l’autre bout du quai en se serrant fort fort fort la main.

Après si on veut rester dans les exhibitionnistes y’a eu celui du lac de Louvain-la-Neuve, qui surgit à poil tranquille pendant qu’on fait notre petit jogging. Mais bon lui, magnanime, nous a éparné l’érection et la branlette. Trop sympa.

Ou celui des environs de la gare de Rome, alors que j’allais, toute seule, prendre la navette à 5h du mat pour aller à l’aéroport, et qui tranquille a fait un petit demi-tour en moto pour s’arrêter sur le bord de la route juste là où je devais passer à pieds, pour se branler tranquille en me disant un truc que j’ai pas compris parce que je traçais en retenant mes larmes (et un fond de vomi en bouche).

Ca, c’est juste pour les exhib.

Y’a aussi ceux qui touchent, genre celui qui s’est permis de poser une main sur ma cuisse dans le bus comme si c’était tout à fait normal. Glaçant.

Ou celui qui me touchait les cheveux, comme ça, alors que j’attendais le métro, et quand je m’en suis rendu compte j’ai sursauté et me suis demandé depuis combien de temps il avant ma mèche de cheveux entre les doigts et ça m’a écoeurée.

Ou encore celui qui m’a attrapé le sein et qui l’a empoigné fermement, comme ça, gratos, alors que je marchais simplement dans la rue à Séville et que lui me croisait à vélo. Sorti de nulle part, quelques secondes à peine pour te sentir totalement dépossédée de ton corps et éclater en sanglots le temps de réaliser, passée la sidération.

Puis y’a ceux qui parlent, qui sifflent et qui regardent, mais bon je vais pas commencer à détailler tous ceux-là, ceux qui ralentissent en voiture quand tu rentres du sport et dont on essaie de rire avec les copines en se disant qu’ils font vraiment feu de tout bois, ceux qui font des bruits dégueus avec leur bouche, ceux qui klaxonnent, ceux qui te suivent sur quelques mètres, ceux qui rigolent puis qui t’insultent si jamais tu as le culot d’être désagréable. Bah oui parce qu’en fait, finalement, je suis moche et mal baisée, même si deux secondes plus tôt le type me lançait des sifflements salaces et demandait mon 04. Moi depuis que je suis à Bruxelles je suis devenue championne en regards-semi-mitraillette-semi-hyper-dégoûtés.

Sinon, là, est-ce qu’avec le #metoo, on balance aussi toutes les petites remarques ou insinuations qu’on m’a faites au travail (ou ailleurs) et qui n’auraient pas existé si je n’avais pas été une femme ?

Et on balance aussi ceux qui sont pas des « vrais méchants » mais qui nous ont quand même utilisée pour leur bon plaisir en nous laissant blessée sur le bord du chemin quand ils n’ont plus eu besoin de nous ? Ou ça ça devient trop intime ? Elle est où la limite entre les gros connards anonymes et nos petits connards à nous ?

Tout ça est malheureusement tristement banal.
Le pire (ou le mieux, en fait), c’est que je suis sûre que j’en oublie. J’en oublie parce que je trouve ça tellement épuisant que je préfère ne pas m’y arrêter. J’en oublie parce que si je dois me souvenir de chacun, m’arrêter sur chaque petite vexation, ça pourrait facilement me gâcher des journées entières à chaque fois, et mes journées me sont toutes très précieuses et elles sont déjà trop souvent beaucoup trop courtes.

Je crois aussi que même s’il est important d’être conscient du phénomène et de le dénoncer, il ne faut pas non plus pointer du doigt et jeter la pierre sans réfléchir. Dénoncer sans qu’il n’y ait rien d’autre derrnière n’a jamais fait avancer beaucoup le schmilblik. Je trouve ça vraiment top qu’une parole généralisée se libère, qui puisse faire prendre conscience du problème et surtout de l’amplitude de cette réalité à ceux qui l’ignoraient encore (personnellement je ne suis absolument pas étonnée par le nombre d’expériences relatées, je m’étonne plutôt que certains aient l’air de le découvrir…).

Par contre, je pense qu’il est important de ne pas tomber dans la haine, dans une androphobie généralisée et stérile. Il faut dire pour pouvoir déconstruire et reconstruire, sans diaboliser. Bon, y’a des cas où c’est des grands malades qui doivent juste se faire soigner (et même pour eux, y’a des explications structurelles au problème), mais je reste persuadée que la majorité de ces comportements sont complètement intériorisés, les mecs se rendent juste pas compte de la violence du truc. Le paternalisme est protéiforme et ses racines sont très profondes, c’est ça qu’il faut capter, sinon on aura beau dénoncer, rien de bon ne pourra en sortir, entre autres parce que les concernés ne se sentent pas concernés. Je pense (je sais) que beaucoup de mecs sont en fait des « mecs bien » qui sont tout à fait capables de s’offusquer avec nous de tout ce qui a pu nous arriver mais qui, dans d’autres circonstances (en bande ? alcoolisé ? en situation de pouvoir ?), seraient également tout à fait capables d’être dans ce manque de respect-là. C’est ça qu’il faut réussir à faire basculer. L’éducation, le dialogue, éduquer nos fils et nos filles de la même manière, leur donner des vrais bons exemples concrets en appliquant dans notre manière de vivre les valeurs qu’on défend à grand coups de clavier. Que les artistes (hommes et femmes) fassent des spectacles, des films, écrivent des livres en faisant attention à l’image qu’ils renvoient des deux sexes, aux représentations des relations, des caractères. C’est ça, les enjeux. (Quand tu vois le nombre de films où un mec qui insiste est considéré comme sexy et où la fille finit par céder puis tombe amoureuse…horreur malheur!) Je ne parle même pas des possibilités à mettre en place au niveau des pouvoirs publics pcq vu comme ils sont démissionnaires voire totalement réactionnaires voire pire sur d’autres questions, je crois sincèrement qu’il n’y a plus grand chose à en espérer.

Aussi, une autre chose, nous aussi les femmes on peut aussi avoir des comportements « limites » : est-ce que je n’ai pas déjà réclamé avec insistance de l’affection à laquelle je pensais avoir droit à un homme qui voulait tout simplement me quitter ? (On est dans les mêmes questions autour du consentement que celles qui se posent pour nous les femmes, et je n’ai pas plus d’excuse qu’en aurait un gros lourdingue à la drague insistante – sauf si l’amour est une excuse). Est-ce que je n’ai pas déjà eu des rires déplacés avec ma bande de copines ? Est-ce que je n’ai pas déjà été méprisante envers des « vraies filles » du haut de mon caractère bien trempé (et donc intégré comme masculin) avec mes potes mecs ?

Si on veut être tout à fait juste il faut bien se dire que nous les femmes on a aussi un travail à faire si on veut déconstruire tout ça. Dénoncer ce dont on est victimes, oui, mais ne pas se positionner uniquement comme des victimes. Voilà.

Coeur amour sur les hommes que j’aime et coeur amour sur les femmes que j’aime.
On est dans le même bateau, hein.

Des bisou