Brol #47 – possibilities
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Je réfléchissais à un extrait de livre, à une poésie, à un morceau de littérature que j’aime et dont la lecture à voix haute sonnerait bien. Quelque chose de doux et rythmé, qui se déguste aussi à l’oral, qui glisse sur la langue et coule dans l’oreille comme un sirop sucré.
Et j’ai repensé à la voix apaisante, profonde et légèrement voilée d’Amanda Palmer, lisant la liste des « Possibilities » de Wislawa Szymborska.
Je préfère les listes des autres. Je les préfère à l’in-finitude de celles que j’écris dans ma tête. Je préfère que reste ouverte la multiplicité des possibilités. Je préfère ne pas choisir. Ce qui est – la plupart du temps – un énorme frein à toute concrétisation. Triste, un peu, peut-être. Mais c’est comme ça.
C’est peut-être aussi parce que je m’y reconnais que j’aime les Possibilities de Wislawa Szymborska (et beaucoup d’autres de ses poèmes).
Peut-être aussi parce que j’aime son impertinence, son petit sourire en coin, son sourcil malicieux, ses pommettes hautes étoilées de rides profondes, sa façon d’avoir l’air de mêler parfaitement sérieusement joie et profondeur, ironie et gravité. J’aime sa réconciliation des possibles, ses contradictions, sa carrière en dents de scie.
Je la devine bordélique, ses fameux tiroirs de bureau débordant de trésors glanés ici et là, je la devine collectionneuse, comme moi, de plein de brols : petits mots, cartes postales, vers recopiés, coquillages, objets divers, cailloux jolis, livres à lire, livres lus, pièces de monnaie, photos datées, Polaroïds, perles, bijoux de pacotille, tickets de métro, d’expos, de ciné, billets de train, croquis sur des coins de serviettes ou des sous-verres, morceaux de tissus, tant de choses à classer encore, à archiver, à ranger, pour après, qui sait, ou peut-être plutôt pour jamais.
Je n’ai pas trouvé sur internet de traduction en français de ce beau poème, alors je l’ai traduit moi-même (soyez indulgents) (en plus j’ai évidemment traduit depuis l’anglais, pas depuis le polonais…)
Voici donc mon humble traduction (si quelqu’un en a une autre en français : je prends!)
Possibilités
Je préfère les films.
Je préfère les chats.
Je préfère les chênes le long de la Warta.
Je préfère Dickens à Dostoïevski.
Je préfère aimer des gens qu’aimer toute l’humanité.
Je préfère garder une aiguille et du fil à portée de main, au cas où.
Je préfère le vert.
Je préfère ne pas encourager à blâmer la raison pour tout.
Je préfère les exceptions.
Je préfère partir tôt.
Je préfère parler d’autre chose aux médecins.
Je préfère les vieilles illustrations finement dessinées.
Je préfère l’absurdité d’écrire des poèmes à l’absurdité de ne pas en écrire.
Je préfère, en ce qui concerne l’amour, les anniversaires non-spécifiques, je préfère le célébrer tous les jours.
Je préfère les moralistes qui ne me promettent rien.
Je préfère la gentillesse rusée à la confiance excessive.
Je préfère la terre en civil.
Je préfère les pays conquis aux conquérants.
Je préfère avoir quelques réserves.
Je préfère l’enfer du chaos à l’enfer de l’ordre.
Je préfère les contes de Grimm aux premières pages des journaux.
Je préfère les feuilles sans fleurs aux fleurs sans feuilles.
Je préfère les chiens à queue non-coupée.
Je préfère les yeux clairs, pourtant les miens sont sombres.
Je préfère les tiroirs de bureau.
Je préfère beaucoup de choses que je n’ai pas mentionnées ici à beaucoup de choses dont je n’ai pas non plus parlé.
Je préfère les zéros en liberté à ceux qui sont alignés derrière un code.
Je préfère le temps des insectes au temps des étoiles.
Je préfère toquer sur du bois.
Je préfère ne pas demander combien de temps et quand.
Je préfère garder à l’esprit la possibilité-même que l’existence a sa propre raison d’être.