Brol #41 – l’île longue
Publié le 14 février 2019
J’ai pensé à écrire l’un ou l’autre Brol quand j’étais en Martinique et que j’ai pris du temps pour moi, notamment quand j’ai lu là-bas « Chez soi » de Mona Chollet et « Journal d’un homme heureux » de Philippe Delerm, qui étonnamment résonnaient pas mal l’un avec l’autre concernant justement cette notion de prendre le temps, de ralentir, d’être dans des vies plus calmes, posées, permettant des temps de pauses, des temps creux, où la place est laissée à l’ennui, à la rêverie et donc à la curiosité et à la découverte. Du temps finalement exploratoire et loin d’être perdu.
Je n’ai finalement justement pas pris le temps de concrétiser l’écriture d’un Brol à ce sujet (ni au sujet d’aucune de mes lectures ou pensées de là-bas). Je vous dépose quand même un petit extrait de l’un et de l’autre qui vous mettra peut-être en appétit et vous donnera envie, vous aussi, de ralentir, et de remettre en question le besoin de rentabiliser le moindre quart d’heure de nos vies (pas forcément une rentabilité monétaire, mais une rentabilité « productive », remplir notre temps en faisant faisant et faisant encore des choses, des choses et encore des choses) :
« Une chose est sûre en tout cas : il manque à nos enfants les heures de rêvasserie creuse, les dimanches et les mercredis où rien n’est prévu. Que ce soit du travail, du sport, des jeux, de la télévision, leur emploi du temps est toujours rempli. Résultat : un rien les plonge dans un stress plus sérieux qu’on ne veut le dire. Il faudrait leur donner des cours de vide. » Philippe Delerm
« Que l’on considère le temps comme une chose inerte, ayant vocation à être occupée, remplie ou utilisée, contribue à expliquer l’incompréhension à laquelle se heurtent les casaniers. Leur entourage présume qu’ils ne peuvent que s’ennuyer mortellement, alors que, en s’extrayant de la course folle du monde, ils font l’expérience de la nature et de la texture vivantes du temps. Ils sont parmi les derniers (avec les enfants, probablement) à s’y lover en toute confiance. Ils voient en lui un tapis volant accueillant, doté du pouvoir de les transporter vers des destinations imprévisibles à travers une variété infinie de paysages. Ils savent qu’il n’est pas uniforme, mais qu’il se compose d’une succession d’instants singuliers. » Mona Chollet
Mona Chollet parle de ce temps passé chez soi, ce temps sur pause qui peut nous emporter vers des destinations imprévisibles et lointaines, bon, la transition est facile vers le véritable objet de ce Brol : le voyage littéraire puissant que j’ai fait récemment à la lecture de « L’île longue » de Victoire de Changy.
Voyage très dépaysant puisque l’intrigue du roman de Victoire de passe en Iran, terre lointaine, chargée de mystère, de chaleur sèche, de soleil qui pèse sur les épaules couvertes. On ressent la lumière aveuglante de l’Iran, on découvre ses contrastes, ses habitants, leurs habitudes, on devine le vent qui emporte les mèches de cheveux dépassant des voiles des femmes.
Il y a quelque chose de très puissant dans l’écriture de Victoire que les critiques avaient déjà unanimement reconnu à la sortie de son premier roman (directement nommé pour le Prix Rossel), une douceur et une force dans le style qui font résonner sa voix, comme une petite musique qui retient l’attention et qui reste en tête longtemps, une esthétique poétique, un style quoi, un vrai.
Mais l’écriture à la fois délicate et énergique ne se suffit pas à elle-même, elle va plus loin : elle nous entraîne, nous emporte, nous emmène dans un voyage au coeur du voyage. L’intrigue est tissée de nombreux fils : la découverte d’un pays mystérieux, la quête d’une mère disparue, celle d’une voix éteinte, éraillée, le chemin de deux femmes inconnues, leur amour naissant.
C’est une histoire de femmes qui s’aiment, qui s’aident, qui cherchent et se cherchent. Une histoire de femmes puissantes, d’amour, de générations, de liberté, de torture. C’est une histoire de voix de femmes, et c’est aussi l’histoire de leurs silences vertigineux. C’est une histoire de monstres et d’obscurité, de lumière sur le sable noir et de mains qui se tiennent, une histoire de journées mordantes et de nuits sous l’eau. Une histoire d’intime et de collectif.
C’est une histoire qui, vraiment, compte.
Courez lire ce livre, et puis offrez-le aux femmes de vos vies.
Et puis aussi, si vous voulez rencontrer la merveille qu’est Victoire, vous pouvez aller à la Foire du Livre de Bruxelles ce dimanche. Elle y sera à 14h en rencontre puis en dédicace ensuite.