Brol #69 – La ville aux enfants
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J’ai écrit ce petit texte il y a quelques temps déjà, l’année dernière. J’étais un peu vénère donc je l’avais pas publié, mais là je suis en train de me dire que si je ne le publie pas aujourd’hui, je ne le ferai certainement jamais. Et puis c’est l’occasion de faire revivre ces petits brols, aussi 🙂
Le collectif de parents dont je fais partie, « La ville aux enfants », a co-écrit et publié l’année dernière un manifeste et une lettre ouverte « Pour une ville enfants bienvenu·es »
> Lien vers le manifeste
> Lien vers la lettre ouverte
Ceux-ci ont donc été co-signés par une soixantaine de collectifs et associations régionales, nationales ou autre œuvrant non seulement dans le domaine de l’enfance mais aussi dans celui de la sécurité routière, de la santé ou du féminisme.
Ensuite, avec la Ville aux enfants, on a aussi adapté ce manifeste à la réalité de notre commune Saint-Gilles, et nous sommes allés voir chacun des partis avant les élections communales pour leur présenter ce travail, nos revendications et recommandations. On a la chance d’être dans une commune dans laquelle le dialogue avec les politiques est possible, même si l’on peut légitimement je pense se poser la question du travail gratuit fourni par des citoyens et collectifs bénévoles pour pallier aux défaillances des institutions (c’est un plus vaste sujet).
A plusieurs reprises, face à mon « militantisme » dans le cadre de ce très chouette collectif, j’ai dû faire face à des réactions du type : « c’est égoïste de militer pour VOS enfants, pour un espace public qui VOUS conviendrait, sans tenir compte des réalités des autres usager•es de l’espace public, des gens qui ont besoin de leur voiture ou camionnette pour aller travailler par exemple ».
Ce qui est à peine sous-entendu c’est : « vous êtes des bobos privilégiés qui voulez construire des pistes cyclables parce que ça vous arrange pour rouler en vélo cargo ». Je constate depuis que ce discours perdure, et particulièrement venant de personnes supposées alliées, parfois engagées à gauche. Pour moi, ça traduit surtout de leur part un renforcement de l’invisibilisation des enfants et un manque de vision intersectionnelle concernant le partage et la construction de l’espace public, mais pas uniquement. Pourquoi je trouve que cette réaction est problématique ?
L’adultisme : les enfants comme groupe social discriminé
Les enfants sont sans cesse considérés comme comme des sous-personnes. Ils sont un groupe social ultra discriminé. Si tu y regardes de plus près, il existe peu de personnes (et heureusement!!) que notre société considère aussi mal et qui subissent tant de violences de manière aussi ouverte et décomplexée que les enfants (et les enfants précarisés ou racisés cumulent les oppressions).
Et nous, en tant que mères, on doit non seulement composer avec ça dans leurs vies mais aussi dans la nôtre et puis sans cesse sur-justifier la nécessité et le bien fondé même de nos tentatives de leur donner la parole, de s’en faire l’écho, de les aider à exister, à être écoutés ou à accéder à un peu d’espace.
Petit exercice pratique. Lisez tout haut les affirmations suivantes :
– « Les enfants n’ont besoin de rien d’autre que d’aller d’un point A à un point B, il n’est pas nécessaire qu’ils aient la possibilité d’investir l’espace autrement. »
– « Les enfants n’ont rien à dire sur la construction du quartier, de la ville, du pays dans lesquels ils habitent. »
– « Les enfants n’ont aucune compétence. »
– « Les enfants ont accès à des endroits spécifiquement faits pour eux, ils n’ont pas besoin de se mélanger au reste des vivants. »
– « Il est normal que les enfants n’aient pas accès à certains commerces / horeca / transports publics : leur présence peut gêner les autres personnes. »
Maintenant, essayez d’imaginer remplacer « les enfants » dans ces affirmations en remplaçant ce groupe social par n’importe quel autre groupe social (« les femmes », « les personnes racisées », etc.)
…. Ça fait bizarre hein ??? Voilà, ça s’appelle l’adultisme. C’est comme le racisme, mais anti-enfants. Il s’agit d’une discrimination encore trop peu visible mais dont (heureusement!) de plus en plus de féministes s’emparent ces dernières années.
Pourquoi c’est un problème ?
Je ne vais pas m’étendre sur l’ensemble des oppressions desquelles sont victimes les enfants, mais rester sur le sujet qui nous occupe et qui concerne l’espace public. Ostraciser les enfants et continuer à ne pas tenir compte d’eux et de leurs besoins et spécificités c’est compliquer voire interdire l’accès des enfants à l’espace public, c’est donc aussi proscrire et isoler les mères, et toutes les personnes qui s’occupent des enfants, en prennent soin, en ont la responsabilité et la charge (et qui, spoiler alert, sont encore majoritairement des femmes).
Et toi en tant que mère quand tu essaies de rendre ce truc-là un peu visible en réfléchissant à tout ça dans une perspective intersectionelle, et de convergence des luttes sociale, féministe, antiraciste et écologique, d’inclusivité, et que là justement tu veux élargir la question sur ce point précis qui te semble encore trop peu visible, eh bien en fait encore souvent le tout premier réflexe c’est de te renvoyer ce truc : tu défends tes petits poussins et tes petits intérêts, en fait c’est égoïste. C’est un discours que je trouve de plus en plus insupportable d’autant plus qu’il est complètement décomplexé.
Je vis depuis presque 5 ans maintenant avec un enfant, puis deux, sans aucun véhicule (et non, je n’ai pas de vélo cargo), dans un quartier assez pauvre de notre capitale. Dans ma commune, Saint-Gilles, il n’y a que 29% des ménages qui possède une voiture. Par contre on est tous·tes piéton·nes, d’une manière ou d’une autre, c’est notre dénominateur commun. Mais je dois continuer à m’entendre dire que je ne me mets pas suffisamment à la place des autres en questionnant la place prépondérante qu’occupent les engins motorisés dans les aménagements publics.
L’accès à l’espace public des enfants (et des mères) et de l’ensemble des personnes les plus fragiles, sa construction dans la fabrique de la ville et leurs multiples conséquences collectives (sur le vivre ensemble, la santé, santé mentale, sécurité, etc.) est un sujet qui m’occupe depuis plusieurs années maintenant, d’abord parce que je le vis au quotidien en tant que mère piétonne dans ma ville (expérience que je sais par ailleurs encore peu audible), mais aussi parce que j’ai effectué beaucoup de recherches sur le sujet et aussi via le militantisme grâce à « La ville aux enfants » et à la force et richesse des multiples échanges à ce sujet avec chacune des personnes composant ce collectif, chacune arrivant elle-même avec un vécu, un bagage et d’autres luttes (notamment de classe, féministe ou antiraciste).
De l’importance d’écouter les concerné·es
Ca me fatigue un peu que ces expertises (de vécu, de recherche et de militance) ne soient finalement jamais considérée dans les échanges que je peux avoir sur le sujet mais au contraire parfois disqualifiée d’emblée par de grands penseurs de gauche qui ne pensent pas utile d’intégrer ces autres perspectives dans leur vision de la fabrique de la ville.
En fait, juste, sur ce sujet comme sur d’autres, écoutez les concerné•es, les personnes expertes (d’un vécu et/ou du sujet). Ne parlez pas à la place des mères, des parents, des enfants. Si vous êtes blanc•he, il ne vous viendrait pas à l’idée de remettre en question la parole d’une personne racisée sur son expérience du racisme, n’est-ce pas ? Eh bien c’est pareil pour les mères / les parents / les enfants : écoutez-les au lieu de minimiser leurs combats, occulter leurs besoins, nier leurs spécificités ou leurs connaissances, étouffer leurs imaginaires et revendications, refuser leurs droits.
Et là je fais une petite digression, parce qu’il s’agit d’une intuition qu’il faudrait encore creuser, étayer, confirmer, mais la conclusion à laquelle j’arrivais à la fin de mon podcast, en mettant bout à bout tout ce que coûte aux femmes la maternité telle qu’elle est construite dans notre société (symboliquement mais aussi très concrètement : perte de revenus, difficultés d’accès à l’espace public, conséquences sur la santé, etc), c’est qu’en fait la maternité pourrait être considérée comme une oppression supplémentaire dans une grille de lecture intersectionnelle. Ce qui peut paraître contre-intuitif puisque les femmes qui ne sont pas mères (par choix ou par nécessité) considèrent souvent que celles qui le sont sont davantage validées/considérées en patriarcat. (N’est-ce pas encore une belle victoire de l’hétéropatriarcacapitalisme que de nous opposer les unes aux autres sans voir qu’on est finalement tous·tes perdant·es – et que c’est bien pour ça qu’il faut lutter tous·tes ensemble ?) Mais donc en niant la parole, le vécu et les besoins des enfants et des mères, vous renforcez leurs oppressions.
Les ruisseaux des enfants
On sait que la route est encore longue, que les combats à mener sont multiples, on sait aussi évidemment que tout cela est en processus, imparfait, mouvant, qu’il faut se connecter encore à d’autres groupes, d’autres collectifs, d’autres combats, mais je trouve injuste de reléguer ces mouvements (balbutiants mais en train de s’articuler) à un petit combat égoïste pour des petits enfants égoïstes et privilégiés alors que par ailleurs on semble assez d’accord avec le fait qu’on a impérativement besoin que nos rivières féministes écologistes anticapitalistes et décoloniales se dirigent toutes avec force vers le même océan-horizon, malgré leurs spécificités et leurs nuances.
Ne rejetez pas les ruisseaux des enfants (tous·tes les enfants !! pas juste celles et ceux dont les parents détiennent le pouvoir symbolique de prendre la parole sur le sujet) et des mères (toutes les mères !) vers leurs maisons ou vers leurs écoles alors qu’ils et elles essaient justement de se déverser hors des courants qui ont été tracés pour elles et eux par d’autres.
Je me rends compte au moment de clôturer ce texte qu’il n’est pas très bien écrit, parce que je l’ai écrit dans la colère et en réaction à des critiques que j’estime problématiques, plutôt que dans une perspective positive et constructive. Mais ça dit aussi quelque chose de la fatigue militante face à la silenciation systém(at)ique de certains vécus.
Enfin bref, lisez surtout le manifeste et la carte blanche, c’est le plus important 🙂
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