Brol #64 – sommeils et sommets

Publié le 19 mai 2021

En établissant une petite liste des lieux où j’ai dormi depuis ma naissance pour un défi d’écriture lancé par Lucioleetfeufollet, j’ai refait le trajet de ma vie à l’envers pour retrouver les lits, les trains, les endroits étranges où mes yeux se sont fermés.

C’était la première fois depuis longtemps que je faisais ce trajet-retour, que j’allais à rebrousse-poil de la course des jours qui avance.

Ç’a été un moyen de me remémorer les beaux moments vécus, les lieux découverts, les villes, les vacances, l’intensité contenue dans ces soirées, ces nuits, ces pauses et ces siestes – et surtout la qualité des relations, des personnes ayant partagé tous ces sommeils, parfois des sommets.

J’ai aussi repensé à des nuits d’amour tellement anciennes qu’elle ne reviennent plus jamais à la surface de mes souvenirs – elles n’ont normalement aucune raison d’y flotter. Mais ça m’a fait plaisir, ça m’a fait sourire, ça m’a fait frissonner de me remémorer leur existence, de savoir qu’elles existent encore, quelque part là, dans un morceau de papier plié en mille, retrouvé au fond d’une poche de la mémoire de ma vie d’avant.

Sans T, et sans M évidemment, je serais peut-être restée nostalgique de cette vie d’avant, ces insouciances, ces voyages en train à la destination incertaine. Il me manquerait sans doute, ce temps des horizons élargis, des possibilités infinies. Ou peut-être y vivrais-je toujours, dans cette adolescence sautillante et exaltée, mais peut-être pas. Peut-être aspirerais-je exactement à vivre ce que je vis (oui) et cela me donne une raison supplémentaire de le savourer en même temps que je chéris ce passé d’avoir lui aussi existé.

J’ai photographié un jour un tag dans les Marolles qui disait quelque chose comme « si tu traces une route, tu auras du mal à revenir à l’étendue ». J’y repense parfois.

Pluie de météores, 1882

Sur des canapés, des fauteuils, sous des tables, emboîtés avec mes frères et ma sœur chez des amis de nos parents, des oncles et tantes, nos grands-parents. Sur la banquette du fond de la Renault 21 Nevada, et puis je me réveillais le lendemain matin dans mon lit, comme téléportée. À Ath, chez mon amie Marie-Charlotte, après avoir supplié nos parents de nous laisser rester ensemble encore un peu. Dans le grand lit de la chambre de ma sœur, tous les 4. Dans les cabanes construites en draps et en coussins sur le carrelage du salon ou de la salle à manger. Dans des salles de classes transformées en dortoirs pour les camps louveteaux. Dans des tentes au fond des jardins. Dans des tentes scoutes dans le sud de la France ou de la Belgique. Dans des tentes décathlon 2’, 3’, 10’ sur les plaines du festival de dour, de werchter, d’esperanzah, du sziget, de la semo, j’en oublie. Une nuit à Namur, après le verdur rock dans le kot de mon frère avec Antoine. Dans le cagibi du kot de la bruxelloise. Sur le canapé de mon commu. Au kot ardoise, au kot mémé, à la fédé. Dans le car vers le Jura. Chez Simé, chez Panda, chez Nico, à Mons un peu partout. Dans un train de nuit filant vers la Pologne et dans un autre direction la Croatie. Sur le quai de la gare, à Mons, en attendant le premier train du matin après la fermeture des bars. Dans ce train qui a fait plusieurs fois Liège-Quiévrain Quiévrain-Liège avant qu’on se réveille, Émile et moi. Dans la gare de Varsovie. Sur des matelas sur des planchers chez des amis. Dans notre grenier. Sur une plage réservée aux chiens et remplie de crottes dans le Nord de l’Italie. Dans Boris, le mobilhome de mon père, un peu partout en France, Belgique, Italie, Croatie. Aux Tanneurs, dans la régie. Sur le canapé de Fred et Eric. Dans l’ancien appartement de Simon, sur un matelas au sol. À Avignon, dans une maison. À Venise, à Fuerteventura, à Prague, à Lisbonne, à Porto, à Madrid, à Barcelone, à Rome, à Marrakech, à Lorgues. En Martinique chez Joé et Coco. À Londres chez Jane Jules Lili Auguste Delphine et François. À Dakar chez Barry. À Montréal chez Fa et Ol et chez Dodo. À Québec chez Andréanne. À Séville chez moi. À Paris chez Marine. À Sirault chez mes amies. À Marseille avec mes amies. À Göteborg chez mon frère. À Murcie chez MC. À Budapest chez Kriszta. À Perpignan chez la maman de Simon, à Port-Grimaud chez celle de Chachou. À Wiers chez Céline. À Kain chez Lise. Chez les parents de Louise, de Victoire, de Catherine. À Nieuport, souvent. À Saint-Idesbald, avant. À Harmignies, à la Chaussée de Beaumont, à Dave chez mes grands-parents, puis chez ma mère, à Soignies chez mes grands-parents, plus depuis longtemps. (La dernière fois, est-ce qu’on peut vraiment savoir que c’est la dernière fois ?). À Harchies, le plus souvent. À Saint-Gilles, depuis longtemps. À Saint-Pierre, à l’hôtel, à Clerheid.